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Centre d'études stratégiques pour le monde arabe (CESMA)

Centre for Strategic Studies for the Arab World (CSSAW)

مركز الدراسات الإستراتيجية للعالم العربي

Le conflit sino-américain et le sort des pays arabes au Moyen-Orient

par Ali Khedher

 le 6/5/2021

Il ne fait aucun doute que le conflit entre les deux plus grands capitalismes du monde, le capitalisme totalitaire du parti unique chinois et le capitalisme monopoliste américain a des répercussions majeures au Moyen-Orient. Récemment, après que les États-Unis aient réussi en mars dernier à contraindre le gouvernement irakien à annuler le contrat entre la société chinoise ZhenHua Oli, filiale de la Chinese Defence Corporation Norinco, et le ministère irakien du Pétrole, les États-Unis sont  apparus incapables de bloquer le nouvel accord gazier que China Petroleum & Chemical Corp a signé le mois dernier, avril 2021, avec le ministère irakien du Pétrole (1). Ce nouvel accord comprend un accord de 25 ans qui accorde à la société chinoise une part de 49% de la production de gaz naturel pour les champs du sous-district de Mansouriya en échange de la construction d'infrastructures et du développement de champs de gaz dans cette zone (2). La Chine considère cet accord comme faisant partie de son grand projet global, le projet de la Route de la Soie, qui porte le nom de « Projet de la Ceinture et de la Route », projet qui vise à dominer, entre autres, les sources d'énergie qui constituent un élément important dans la re-division du monde d'une manière qui serve ses intérêts.

L'annonce officielle de cet accord intervient à 4 semaines de l'accord commercial et de sécurité multiforme que la Chine a signée avec l'Iran le 27 mars 2021. Cet accord sino-iranien, qui est d’une durée de 25 ans, est présenté comme un « pacte de coopération stratégique ». (3) L’objectif chinois ne se limite pas à aider l’Iran à se sortir économiquement de l’embargo américain mais aussi et surtout à renforcer son influence politique, économique, et militaire, sur l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yemen.

Quant à l’accord gazier sino-irakien, il trouve un reflet majeur en Russie. En fait, les deux pays (la Chine et la Russie) travaillent de manière coordonnée et avec une grande coopération dans des domaines stratégiques clés pour étendre leurs pivots et leur influence au Moyen-Orient. Leurs tactiques ne dépendent pas seulement de la réalisation des accords économiques et commerciaux, mais aussi des interventions militaires si nécessaire, comme c'est le cas en Syrie. La Chine prend la tête des initiatives économiques et commerciales et la Russie assume les initiatives militaires.

Certains hommes politiques irakiens disent que cet accord est le résultat de pressions politiques exercées par des forces politiques et des milices affiliées à l'Iran en Irak. Cet accord répond également aux l'intérêt de l'Iran, car celle-ci est une alliée « stratégique » de la Chine et de la Russie. Ainsi, son projet d’avoir accès à la Méditerranée en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban, concorde avec la stratégie sino-russe.  Il est intéressant de mentionner que la société française Total avait signé il y a plusieurs années un accord préliminaire avec le gouvernement irakien concernant ces mêmes  gisements de gaz, (4) mais cet accord n'a pas progressé en raison de la pression exercée par ces mêmes forces iraniennes en Irak, qui s'y sont opposées et s'opposaient à sa cession à une entreprise française.

Les États-Unis considèrent que la mise en œuvre de projets de ce type devrait être confiée à des sociétés américaines ou à des sociétés européennes alliées comme la société française Total. Cependant, la politique américaine au cours des dernières années s'est limitée à réduire le rôle politique, militaire et économique de l'Iran en Irak. Son objectif était de réduire la dépendance de l'Irak vis-à-vis du gaz iranien, qui est nécessaire pour faire fonctionner le réseau électrique irakien.

La région de Mansuriyya, qui abrite ces gisements de gaz, revêt une importance géopolitique particulière pour la Russie. Le champ de gaz de Mansuriya est situé près de la frontière iranienne, au nord est de Bagdad, sur la route reliant l'Iran et la Syrie. Cette route est, en Irak, contrôlée par les milices chiites affiliées à l’Iran (entre-autres Hezbollah). En Syrie, elle est sous contrôle russe. C'est une voie stratégique pour les trois alliés, la Chine, l’Iran et la Russie, parce que c'est la route qui mène à courte distance aux principaux ports stratégiques de Baniyas et de Tartous en Syrie, où se trouvent les bases militaires navales russes. Cette route fait aussi partie de leur plan qui vise à renforcer leur influence économique et militaire en Irak, parce que ce dernier est encore sous une certaine influence américaine où s’y trouvent quelques 5000 soldats et conseillers américains et des pays alliés aux Etats-Unis, dont la mission est de combattre Daech et d’entraîner les forces militaires irakiennes.

Il est prévu qu'un certain nombre d'entreprises russes soient présentes dans les travaux de développement des champs de Mansouriya, en coopération avec la société chinoise Sinopec, en particulier dans le domaine technique et équipement. Il est aussi important de rappeler que la société russe Stroytransgaz avait signé en septembre 2019 un premier contrat avec le ministère irakien du Pétrole pour développer le champ, auparavant inconnu, du bloc 17, situé sur la même route, mais dans les terres arides d’une zone que l’armée des États-Unis appelait « la colonne vertébrale » parce que c'était une zone où Daech se déplaçait facilement tout en contrôlant certaines parties.

Il est aussi important de savoir que le champ de Mansouriya avec le champ d'Akkas et le champ de Seba dans le sud de l'Irak près de la frontière iranienne, sont tous des champs inexploités.  Si l’on ajoute à ces champs les réserves de gaz qui existent conjointement aux champs pétrolifères, on constitue une grande réserve, autrement dit une grande richesse pour le pays. Les estimations officielles indiquent que les réserves prouvées de gaz naturel de l'Irak représentent 1,5% des réserves totales mondiales, ce qui place l'Irak à la 13e place parmi les détenteurs de réserves mondiales. L'Agence internationale de l'énergie estime que l'Irak peut exporter environ 8 000 milliards de mètres cubes de gaz si les champs sont correctement exploités.

La Chine est le dernier pays que les États-Unis veulent voir en Irak. La Chine est non seulement sur le point de dépasser les États-Unis en tant que première économie mondiale en termes de PIB, mais elle est actuellement la plus grande économie du monde en termes de parité de pouvoir. Son projet, «  Belt and Road Initiative », également appelé « Route de la soie » vise à  donner à la Chine une position commerciale et économique dominante par rapport aux États-Unis. Ce projet est aussi géopolitique. Il ambitionne d’entraîner un changement radical dans la nature de la confrontation entre les deux systèmes capitalistes.

Le différent sino-étatsunien, en apparence commercial, est beaucoup plus grave que les heurts portant sur les programmes nucléaires nord-coréen et iranien. Ce différent est, en réalité, un conflit inexorable entre deux systèmes capitalistes : le  capitalisme classique, appelé dans le vocabulaire marxiste monopoliste, représenté par les pays d'Europe occidentale et le Japon, dirigé par les États-Unis, et le capitalisme d’Etat totalitaire ou de parti unique, représenté par la Chine et la Russie.

Pour ces deux systèmes, l’hégémonie au Moyen-Orient, en particulier l’Irak, la Syrie et le Liban, est l’une des clés de la domination sur la Méditerranée. Partant de cela, le rôle de l'Iran, et de ses milices chiites, au Moyen-Orient, en tant qu'allié principal des projets sino-russes, est clair. Il s’agit de déstabiliser la situation politique, de démolir l’économie et d’affaiblir les régimes de ces pays à un niveau tel qu’ils soient obligés d’accepter l'hégémonie iranienne, chinoise et russe.

Ce conflit entre ces deux régimes capitalistes constitue une menace non seulement pour le commerce mondial mais aussi pour tous les régimes politiques des pays en développement. C'est un conflit où chacun de ces deux régimes tente de contrôler, ou d'exercer une influence, sur le plus grand nombre possible de pays. C'est pourquoi la victoire de l’un sur l’autre, qui dépendra de ses réseaux de relations et des ses capacités à réaliser et à accomplir différents projets, déterminera le sort non seulement de l’un et de l’autre mais aussi le sort des pays arabes du Moyen-Orient, qui n’ont aucun choix pour leur avenir.

(1) Selon cet accord, l'Irak livrerait 4 millions de barils par mois pour une période de cinq ans à la société chinoise. Voir à ce sujet Clément Lacroix, dans Energy News : Pétrole Irakien, Annulation d’un contrat avec la Chine, le 5 mars 2021

(2) Simon Watkins, La Chine arrête les Etats-Unis avec un énorme accord gazier irakien, 29 avril 2021, OilPrice.com

(3) Chine Magazine, du 28 mars 2021

(4) Ministère français de l’économie, des finances et de la relance économique, site web

 

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