Laïque et Indépendant
Fondé en 1988
Centre Culturel Arabe

Centre d'études stratégiques pour le monde arabe (CESMA)
Centre for Strategic Studies for the Arab World (CSSAW)
مركز الدراسات الإستراتيجية للعالم العربي
La fin du Hezbollah est-elle proche?
Par Ali Khedher
Le 12/05/2021
De temps en temps, des avions israéliens, en particulier des drones, lancent des raids sur les sites du Hezbollah libanais en Syrie. Cependant, ces dernières semaines, ces raids ont inclus des sites de ces milices chiites dans le sud de Beyrouth ainsi qu'en Irak. Le Hezbollah a promis de répondre à ces raids mais sa réponse réelle a été très limitée, car il n'a tiré que quelques missiles antichars sur les forces israéliennes à la frontière. La question est la suivante: le Hezbollah peut-il risquer une escalade de la confrontation et amener le Liban à un conflit majeur avec Israël? A-t-il vraiment les potentialités nécessaires pour affronter Israël?
Le conflit entre Israël et le Hezbollah est, en fait, un conflit irano-israélien, et sa cause principale est, en apparence, liée à la présence iranienne en Syrie, une présence supposée menacer la sécurité israélienne. En réalité, ce conflit est un combat pour la domination des eaux et des ports libanais. L’objectif de l’Iran est d’avoir un accès sûr et stable et non coûtant à la Méditerranée pour pouvoir exporter son pétrole, son gaz naturel et ses marchandises vers l’Europe et ailleurs. Le discours officiel iranien, qui menace régulièrement Israël, vise à détourner l’attention des populations de cette région de son véritable objectif et de mettre de son côté les sympathisants à la cause palestinienne.
La seule route possible pour avoir accès à la Méditerranée à partir d’Iran, passe par l’Irak et la Syrie et se termine aux ports libanais. Cet objectif est soutenu par les alliés de l’Iran : la Russie et la Chine. Ces deux derniers partagent une stratégie qui vise à installer progressivement, par étapes bien calculées, le nouvel ordre mondial. L’une de ces étapes, c’est la domination des routes commerciales qui mènent vers la Méditerranée, dont la route qui relie l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie. Les eaux et ports syriens sont déjà sous contrôle russe, mais cela ne suffit pas à exercer, stratégiquement, un contrôle sur les routes de la Méditerranée, il leur faut aussi mettre la main, entre autres choses, sur les eaux et les ports libanais. Pour cela, les grandes puissances alliées, la Russie et la Chine, ont déjà conclu avec l’Iran des accords stratégiques dans tous les domaines pouvant servir cet objectif. Parmi les objets de ces accords, le renforcement de l’arsenal militaire iranien, le renforcement de la présence ou de l’influence de l’Iran en Irak et au Liban et cela par l’intermédiaire, entre autres, de ses milices chiites. Le but étant de créer pour eux les conditions nécessaires pour exercer une grande influence sur la région.
L'Iran a exploité la guerre civile en Syrie et a établi des réseaux militaires stratégiques sur le sol syrien, sans aucune objection de la part de la Russie. Parmi ces réseaux il y a les milices du Hezbollah, dont le rôle est de protéger le régime de Bachar al-Assad, de renforcer la présence politique et militaire de l’Iran et de constituer une « menace » à l’égard d’Israël. La réponse israélienne à cette présence iranienne en Syrie, ou plutôt à l’objectif iranien, n’allait pas à l’encontre de la politique américaine. Elle s’est traduite par des centaines de frappes aériennes au cours desquelles Israël a détruit des sites iraniens, des sites du Hezbollah, des hangars d'armes sensibles, des convois de munitions, etc. En raison de ces frappes, l'Iran a été obligé de déplacer certains de ses contingents militaires et les factions de ses milices vers les régions du nord de la Syrie. Mais au Liban, l'Iran a étendu ses activités en utilisant les milices du Hezbollah pour déployer des missiles à courte, à moyenne et à longue portée, supposées destinées à être utilisées contre Israël.
Devant cette situation, Saad Hariri, le Premier ministre libanais, a lancé ces dernières semaines un appel à la Russie, qui a, comme il est exposé plus haut, des liens étroits avec l'Iran et aussi avec Israël, pour intervenir afin d’éviter l’escalade entre le Hezbollah et Israël : ce qui pourrait conduire à une guerre. Ce n’était pas une bonne idée car la Russie, s’il est vrai qu’elle ait une grande influence sur le régime syrien et de bonnes relations avec l’Iran, ne peut jouer ce rôle d’intermédiaire, qui voudrait calmer le jeu ou diminuer la tension. En réalité, la Russie ne souhaite pas la confrontation militaire entre l'Iran et Israël, car cela menacerait ses intérêts et sa stratégie dans la région et surtout en Syrie. La Russie y possède plusieurs bases militaires dont deux maritimes sur les eaux syriennes qui assurent son accès à la méditerranée. Ainsi, la présence militaire et milicienne de l'Iran et du Hezbollah en Syrie sert les intérêts russes face à la présence militaire américaine dans le pays. C’est pour cela que l’intervention russe auprès de l’Iran et auprès du Hezbollah ne peut pas aller contre ses propres intérêts et qu’elle s’est limitée à une requête adressée aux Iraniens dans laquelle elle leur demande d'empêcher le Hezbollah de prendre des mesures contre Israël depuis les hauteurs du Golan.
C'est donc à un grand dilemme que le parti chiite est confronté, car il ne peut ni rester les bras croisés et ignorer les attaques, ni mener une attaque majeure qui pourrait se transformer en guerre avec Israël. Les raisons de son hésitation ne sont pas seulement liées à la situation interne complexe du Liban, où il fait face à une grande opposition à sa politique de la part d’une grande partie du peuple libanais, mais aussi à la crise économique étouffante à laquelle l'Iran, qui finance ses activités, est exposé. Parce que, en vérité, c’est l’Iran qui élabore la politique du Hezbollah et prend la plupart des décisions que, lui, le parti Hezbollah, doit mettre en œuvre.
Au cours des derniers mois, le financement iranien du Hezbollah a diminué énormément, ce qui a obligé le parti chiite à lancer une campagne de dons publics à son adresse. Mais pas seulement : ainsi, ces dernières semaines, pour tenter de compenser la pénurie de sa trésorerie, Hezbollah, selon ce qui a été rapporté dans la presse, a augmenté son trafic international de drogue. Toutefois, au mois d’avril dernier, de grandes quantités ont été saisies. Les douanes saoudiennes ont réussi à contrecarrer une tentative d'introduire plus de 5,3 millions de pilules de Captagon cachées dans des grenades. Le Niger a annoncé la destruction de 17 tonnes de haschisch en provenance du Liban, qui étaient en route vers la Libye lorsqu'elles ont été saisies le mois dernier, avant que les passeurs ne réussissent à les transporter par camions vers la Libye via la ville d'Agadez, et la valeur de la cargaison était d'environ 37 millions de dollars. Cela a coïncidé avec l’annonce par la Grèce de la saisie de plus de 4 tonnes de haschich narcotique dissimulé dans l’envoi de bonbons «cupcake» en provenance du Liban vers la Slovaquie, d’une valeur d’environ 33 millions d’euros.
L'Iran n'est pas une superpuissance et sa capacité financière est limitée et connue. En raison des sanctions des États-Unis et des pays occidentaux, ses exportations ont diminué et, par conséquent, ses investissements dans tous les domaines, entre autres le financement de ses milices au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, ont diminué. Selon des sources gouvernementales iraniennes, le budget général de fonctionnement pour l'exercice 2021 n'est que d'environ 40 milliards de dollars (41 milliards en 2020). Alors que le régime iranien a besoin, au moins, de 180 milliards de dollars pour répondre à ses besoins, soutenir ses milices et mettre en œuvre sa politique interne et externe.
La question qui se pose est de savoir comment le régime iranien peut gérer l'État et son programme nucléaire, armer et payer les salaires de ses milices en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, dont le nombre est estimé à, au moins, 150 000 personnes, assumer les dépenses de la guerre des Houthis au Yémen et réaliser ses ambitions expansionnistes au Moyen-Orient arabe avec un budget très restreint, un budget qui représente moins de la moitié du budget de son voisin l'Irak (le budget irakien pour 2021 est de 103 milliards de dollars). La question qui doit répondre à ses agissements actuels c’est : comment fait l’Iran pour survivre avec 40 milliards ?
L'année 2021 est vraiment une mauvaise année pour le Hezbollah et le reste des milices affiliées à l'Iran au Moyen-Orient, peut-être que cette année sera l'année de la fin ou du « début de la fin » de toutes ces milices chiites. La politique de resserrement du nœud coulant autour du Hezbollah, pratiquée par les États-Unis et les pays occidentaux, ainsi que par la plupart des pays arabes, est devenue quelque chose comme une convention collective informelle, un accord de coopération pour accélérer le raccourcissement de sa durée de vie.
Le donneur de fonds, l’Iran, étranglé, est actuellement engagé dans des négociations aux finalités incertaines avec les États-Unis, et il n’y obtiendra aucun succès sans contre partie. Cette contre partie sera-t-elle le sort de ses milices, celles du Hezbollah, mais aussi d’autres comme celles des Houthis? Dans ces conditions financièrement étouffantes et politiquement asphyxiantes, que fera le parti chiite ?